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Жизнь

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«Жизнь» (1883) — один из шести романов классика французской литературы Ги де Мопассана (1850-1893), написанных за десятилетие творческой деятельности. В романе показана жизнь французских дворян первой половины XIX в., рассказывается печальная история главной героини. Книга содержит неадаптированный текст, снабженный комментариями и словарем. Предназначена для широкого круга лиц, изучающих французский язык.
Мопассан, Г. Жизнь : книга для чтения на французском языке : художественная литература / Г. Мопассан. - Санкт-Петербург : КАРО, 2011. - 384 с. - (Litterature classique). - ISBN 978-5-9925-0694-5. - Текст : электронный. - URL: https://znanium.com/catalog/product/1048598 (дата обращения: 22.11.2024). – Режим доступа: по подписке.
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УДК 372.8

     М 78

© КАРО, 2007
Все права защищены

Мопассан Ги де
М 78 Жизнь: Книга для чтения на французском языке. —
СПб.: КАРО, 2011. — 384 с. — (Litterature classique)

цузской литературы Ги де Мопассана (1850–1893), написанных
за десятилетие творческой деятельности. В романе показана

зывается печальная история главной героини.
Книга содержит неадаптированный текст, снабженный
комментариями и словарем. Предназначена для широкого
круга лиц, изучающих французский язык.

УДК 372.8

CHAPITRE I

Chapitre I

J
eanne, ayant fini ses malles1, s’approcha de la
fenêtre, mais la pluie ne cessait pas.
     L’averse, toute la nuit, avait sonné contre les carreaux et les toits. Le ciel, bas et chargé d’eau, semblait
crevé, se vidant sur la terre, la délayant en bouillie, la
fondant comme du sucre. Des rafales passaient, pleines d’une chaleur lourde. Le ronflement des ruisseaux
débordés emplissait les rues désertes où les maisons,
comme des éponges, buvaient l’humidité qui pénétrait
au-dedans et faisait suer les murs de la cave au grenier.
Jeanne, sortie la veille du couvent, libre enfin pour
toujours, prête à saisir tous les bonheurs de la vie dont
elle rêvait depuis si longtemps, craignait que son père
hésitât à partir si le temps ne s’ éclaircissait pas, et
pour la centième fois depuis le matin elle interrogeait
l’horizon.
Puis, elle s’aperçut qu’elle avait oublié de mettre
son calendrier dans son sac de voyage. Elle cueillit sur

1 ayant fini ses malles 
 ayant fini ses malles 
 ayant fini ses malles 
 ayant fini ses malles 
 ayant fini ses malles — закончив собирать вещи.

GUY DE MAUPASSANT. UNE VIE

le mur le petit carton divisé par mois, et portant au
milieu d’un dessin la date de l’année courante, 1819,
en chiffres d’or. Puis, elle biffa à coups de crayon les
quatre premières colonnes, rayant chaque nom de
saint jusqu’au 2 mai, jour de sa sortie du couvent.
Une voix, derrière la porte, appela:
— Jeannette!
Jeanne répondit:
— Entre, papa.
Et son père parut.
Le baron Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds
était un gentilhomme de l’autre siècle, maniaque et
bon. Disciple enthousiaste de J.-J. Rousseau, il avait
des tendresses d’amant pour la nature, les champs, les
bois, les bêtes.
Aristocrate de naissance, il haïssait par instinct
quatre-vingt-treize; mais, philosophe par tempérament et libéral par éducation, il exécrait la tyrannie
d’une haine inoffensive et déclamatoire.
Sa grande force et sa grande faiblesse, c’était la
bonté, une bonté qui n’avait pas assez de bras pour
caresser, pour donner, pour étreindre, une bonté de
créateur, éparse, sans résistance, comme l’ engourdissement d’un nerf de la volonté, une lacune dans l’énergie, presque un vice.

CHAPITRE I

Homme de théorie, il méditait tout un plan d’éducation pour sa fille, voulant la faire heureuse, bonne,
droite et tendre.
Elle était demeurée jusqu’à douze ans dans la
maison, puis, malgré les pleurs de la mère, elle fut
mise au Sacré-Cœur.
Il l’avait tenue là sévèrement enfermée, cloîtrée,
ignorée et ignorante des choses humaines. Il voulait
qu’on la lui rendît chaste à dix-sept ans pour la tremper
lui-même dans une sorte de bain de poésie raisonnable; et, par les champs, au milieu de la terre fécondée, ouvrir son âme, dégourdir son ignorance à
l’aspect de l’amour naïf, des tendresses simples des
animaux, des lois sereines de la vie.
Elle sortait maintenant du couvent, radieuse, pleine
de sèves et d’appétits de bonheur, prête à toutes les joies,
à tous les hasards charmants que, dans le désœuvrement
des jours, la longueur des nuits, la solitude des espérances, son esprit avait déjà parcourus.
Elle semblait un portrait de Véronèse avec ses
cheveux d’un blond luisant qu’on aurait dit avoir
déteint sur sa chair, une chair d’aristocrate à peine
nuancée de rose, ombrée d’un léger duvet, d’une sorte
de velours pâle qu’on apercevait un peu quand le soleil
la caressait. Ses yeux étaient bleus, de ce bleu opaque
qu’ont ceux des bonshommes en faïence de Hollande.

GUY DE MAUPASSANT. UNE VIE

Elle avait, sur l’aile gauche de la narine, un petit
grain de beauté, un autre à droite, sur le menton, où
frisaient quelques poils si semblables à sa peau qu’on
les distinguait à peine. Elle était grande, mûre de
poitrine, ondoyante de la taille. Sa voix nette semblait
parfois trop aiguë; mais son rire franc jetait de la
joie autour d’elle. Souvent, d’un geste familier, elle
portait ses deux mains à ses tempes comme pour
lisser sa chevelure.
Elle courut à son père et l’embrassa, en l’étreignant:
— Eh bien, partons-nous? dit-elle.
Il sourit, secoua ses cheveux déjà blancs et qu’il
portait assez longs, et, tendant la main vers la fenêtre:
— Comment veux-tu voyager par un temps pareil?
Mais elle le priait, câline et tendre:
— Oh! papa, partons, je t’en supplie. Il fera beau
dans l’après-midi.
— Mais ta mère n’y consentira jamais.
— Si, je te le promets, je m’en charge.
— Si tu parviens à décider ta mère, je veux bien,
moi.
Et elle se précipita vers la chambre de la baronne.
Car elle avait attendu ce jour du départ avec une impatience grandissante.
Depuis son entrée au Sacré-Cœur elle n’avait pas
quitté Rouen, son père ne permettant aucune dis
CHAPITRE I

traction avant l’âge qu’il avait fixé. Deux fois seulement
on l’avait emmenée quinze jours à Paris, mais c’était
une ville encore, et elle ne rêvait que la campagne.
Elle allait maintenant passer l’été dans leur propriété des Peuples, vieux château de famille planté sur
la falaise près d’Yport1; et elle se promettait une joie
infinie de cette vie libre au bord des flots. Puis, il était
entendu qu’on lui faisait don de ce manoir, qu’elle
habiterait toujours lorsqu’elle serait mariée.
Et la pluie, tombant sans répit depuis la veille au
soir, était le premier gros chagrin de son existence.
Mais, au bout de trois minutes, elle sortit, en
courant, de la chambre de sa mère, criant par toute la
maison:
— Papa, papa! maman veut bien; fais atteler.
Le déluge ne s’apaisait point; on eût dit même qu’il
redoublait quand la calèche s’avança devant la porte.
Jeanne était prête à monter en voiture lorsque la
baronne descendit l’escalier, soutenue d’un côté par
son mari, et, de l’autre, par une grande fille de chambre
forte et bien découplée comme un gars. C’était une
Normande du pays de Caux2, qui paraissait au moins

1     Ypor
Ypor
Ypor
Ypor
Yport t t t t (Ипор) — город в Нормандии на берегу ЛаМанша.
2 Caux
 Caux
 Caux
 Caux
 Caux     (Ко) — меловое плато в Нормандии.

GUY DE MAUPASSANT. UNE VIE

vingt ans, bien qu’elle en eût au plus dix-huit. On la
traitait dans la famille un peu comme une seconde
fille, car elle avait été la sœur de lait de Jeanne. Elle
s’appelait Rosalie.
Sa principale fonction consistait d’ailleurs à guider
les pas de sa maîtresse devenue énorme depuis
quelques années par suite d’une hypertrophie du cœur
dont elle se plaignait sans cesse.
La baronne atteignit, en soufflant beaucoup1, le perron du vieil hôtel, regarda la cour où l’eau ruisselait et
murmura:
— Ce n’est vraiment pas raisonnable.
Son mari, toujours souriant, répondit:
— C’est vous qui l’avez voulu, madame Adélaïde.
Comme elle portait ce nom pompeux d’Adélaïde,
il le faisait toujours précéder de «madame» avec un
certain air de respect un peu moqueur.
Puis elle se remit en marche et monta péniblement
dans la voiture dont tous les ressorts plièrent. Le baron
s’assit à son côté, Jeanne et Rosalie prirent place sur la
banquette à reculons2.
La cuisinière Ludivine apporta des masses de manteaux qu’on disposa sur les genoux, plus deux paniers
qu’on dissimula sous les jambes; puis elle grimpa sur

1 en soufflant beaucoup 
 en soufflant beaucoup 
 en soufflant beaucoup 
 en soufflant beaucoup 
 en soufflant beaucoup — тяжело дыша.
2 à r
 à r
 à r
 à r
 à reculons 
eculons 
eculons 
eculons 
eculons — против хода.

CHAPITRE I

le siège à côté du père Simon, et s’enveloppa d’une
grande couverture qui la coiffait entièrement. Le
concierge et sa femme vinrent saluer en fermant la
portière; ils reçurent les dernières recommandations
pour les malles qui devaient suivre dans une charrette;
et on partit.
Le père Simon, le cocher, la tête baissée, le dos
arrondi sous la pluie, disparaissait dans son carrick à
triple collet1. La bourrasque gémissante battait les
vitres, inondait la chaussée.
La berline, au grand trot des deux chevaux, dévala
rondement sur le quai, longea la ligne des grands
navires dont les mâts, les vergues, les cordages se dressaient tristement dans le ciel ruisselant, comme des
arbres dépouillés; puis elle s’engagea sur le long boulevard du mont Riboudet.
Bientôt, on traversa les prairies; et, de temps en
temps, un saule noyé, les branches tombantes, avec un
abandonnement de cadavre, se dessinait gravement à
travers un brouillard d’eau. Les fers des chevaux clapotaient et les quatre roues faisaient des soleils de boue.
On se taisait; les esprits eux-mêmes semblaient
mouillés comme la terre. Petite mère, se renversant, appuya sa tête et ferma les paupières. Le baron

1 le carrick à triple collet 
 le carrick à triple collet 
 le carrick à triple collet 
 le carrick à triple collet 
 le carrick à triple collet — мужское пальто с тремя
пелеринами.

GUY DE MAUPASSANT. UNE VIE

considérait d’un œil morne les campagnes monotones
et trempées. Rosalie, un paquet sur les genoux, songeait
de cette songerie animale des gens du peuple. Mais
Jeanne, sous ce ruissellement tiède, se sentait revivre
ainsi qu’une plante enfermée qu’on vient de remettre à
l’air; et l’épaisseur de sa joie, comme un feuillage, abritait
son cœur de la tristesse. Bien qu’elle ne parlât pas,
elle avait envie de chanter, de tendre au-dehors sa main
pour l’emplir d’eau qu’elle boirait; et elle jouissait d’être
emportée au grand trot des chevaux, de voir la désolation des paysages, et de se sentir à l’abri au milieu de
cette inondation.
Et, sous la pluie acharnée, les croupes luisantes des
deux bêtes exhalaient une buée d’eau bouillante.
La baronne, peu à peu, s’endormait. Sa figure,
qu’encadraient six boudins réguliers de cheveux pendillants, s’affaissa peu à peu, mollement soutenue par
les trois grandes vagues de son cou, dont les dernières
ondulations se perdaient dans la pleine mer de sa poitrine. Sa tête, soulevée à chaque aspiration, retombait
ensuite; les joues s’enflaient, tandis que, entre ses lèvres
entrouvertes, passait un ronflement sonore. Son mari
se pencha sur elle, et posa doucement, dans ses mains
croisées sur l’ampleur de son ventre, un petit portefeuille en cuir.

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