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Госпожа Бовари

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«Госпожа Бовари» (1857) первый опубликованный роман выдающегося французского писателя Гюстава Флобера (1821-1880). В этом великом творении литературы, считающимся поворотным пунктом в развитии современного романа, Флобер пытается разрешить извечный конфликт между иллюзией и реальностью. В книге представлен неадаптированный текст на языке оригинала.
Флобер, Г. Госпожа Бовари : книга для чтения на французском языке : художественная литература / Г. Флобер. — Санкт-Петербург : КАРО, 2010. — 256 с. — (Literature classique). - ISBN 978-5-9925-0497-2. - Текст : электронный. - URL: https://znanium.com/catalog/product/1048594 (дата обращения: 23.11.2024). – Режим доступа: по подписке.
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GUSTAVE FLAUBERT

УДК 372.8
ББК 81.2Фр
 
 Ф 73

© КАРО, 2004
ISBN 9785992504972

Флобер Г.
Ф 73
Госпожа Бовари: Книга для чтения на французском языке. — СПб.: КАРО, 2010. — 256 с. — (Серия
„Littérature classique“).

ISBN 9785992504972.

«Госпожа Бовари» (1857) — первый опубликованный
роман выдающегося французского писателя Гюстава Флобера
(1821–1880).
В этом великом творении литературы, считающимся
поворотным пунктом в развитии современного романа, Флобер
пытается разрешить извечный конфликт между иллюзией и
реальностью.
В книге представлен неадаптированный текст на языке
оригинала.

ББК  81.2Фр

MADAME BOVARY

A Marie-Antoine-Jules Senard
membre du barreau de Paris
ex-president de l’Assemblée Nationale
et ancien ministre de l’interieur

Cher et illustre ami,
Permettez-moi d’inscrire votre nom en tête de ce livre et audessus même de sa dédicace; car c’est à vous, surtout, que j’en dois
la publication. En passant par votre magnifique plaidoirie, mon
œuvre a acquis pour moi-même comme une autorité imprévue.
Acceptez donc ici l’hommage de ma gratitude, qui, si grande qu’elle
puisse être, ne sera jamais à la hauteur de votre éloquence et de
votre dévouement.

Gustave Flaubert

Paris, 12 avril 1857

GUSTAVE FLAUBERT

A Louis Bouilhet

PREMIERE PARTIE

I

Nous étions à l’étude, quand le Proviseur entra suivi d’un
nouveau habillé en bourgeois et d’un garçon de classe qui
portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent,
et chacun se leva comme surpris dans son travail.
Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir; puis, se
tournant vers le maître d’études:
– Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que
je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa
conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où
l’appelle son âge.
Resté dans l’angle, derrière la porte, si bien qu’on
l’apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne,
d’une quinzaine d’années environ, et plus haut de taille
qu’aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur
le front, comme un chantre de village, l’air raisonnable et fort
embarrassé. Quoiqu’il ne fût pas large des épaules, son habitveste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux
entournures et laissait voir, par la fente des parements, des
poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus,
sortaient d’un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il
était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous.

MADAME BOVARY

On commença la récitation des leçons. Il les écouta de
toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, n’osant même
croiser les cuisses, ni s’appuyer sur le coude, et, à deux heures,
quand la cloche sonna, le maître d’études fut obligé de l’avertir,
pour qu’il se mît avec nous dans les rangs.
Nous avions l’habitude, en entrant en classe, de jeter nos
casquettes par terre, afin d’avoir ensuite nos mains plus libres;
il fallait, dès le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de
façon à frapper contre la muraille en faisant beaucoup de
poussière; c’était là le genre.
Mais, soit qu’il n’eût pas remarqué cette manœuvre ou
qu’il eût osé s’y soumettre, la prière était finie que le nouveau
tenait encore sa casquette sur ses deux genoux. C’était une
de ces coiffure d’ordre composite, où l’on retrouve les
éléments du bonnet à poil, du chapska du chapeau rond, de
la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces
pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des
profondeurs d’expression comme le visage d’un imbécile.
Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois
boudins circulaires; puis s’alternaient, séparés par une
bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin;
venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un
polygone cartonné, couvert d’une broderie en soutache
compliquée, et d’où pendait, au bout d’un long cordon trop
mince, un petit croisillon de fils d’or, en manière de gland.
Elle était neuve; la visière brillait.
– Levez-vous, dit le professeur.
Il se leva; sa casquette tomba. Toute la classe se mit à rire.
Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d’un
coup de coude, il la ramassa encore une fois.

GUSTAVE FLAUBERT

– Débarrassez-vous donc de votre casque, dit le
professeur, qui était un homme d’esprit.
Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le
pauvre garçon, si bien qu’il ne savait s’il fallait garder sa
casquette à la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tête.
Il se rassit et la posa sur ses genoux.
– Levez-vous, reprit le professeur, et dites-moi votre nom.
Le nouveau articula, d’une voix bredouillante, un nom
inintelligible.
– Répétez!
Le même bredouillement de syllabes se fit entendre,
couvert par les huées de la classe.
– Plus haut! cria le maître, plus haut!
Le nouveau, prenant alors une résolution extrême, ouvrit
une bouche démesurée et lança à pleins poumons, comme
pour appeler quelqu’un, ce mot: Charbovari.
Ce fut un vacarme qui s’élança d’un bond, monta en
crescendo, avec des éclats de voix aigus (on hurlait, on
aboyait, on trépignait, on répétait: Charbovari! Charbovari!),
puis qui roula en notes isolées, se calmant à grand-peine, et
parfois qui reprenait tout à coup sur la ligne d’un banc où
saillissait encore çà et là, comme un pétard mal éteint, quelque
rire étouffé.
Cependant, sous la pluie des pensums, l’ordre peu à peu
se rétablit dans la classe, et le professeur, parvenu à saisir le
nom de Charles Bovary, se l’étant fait dicter, épeler et relire,
commanda tout de suite au pauvre diable d’aller s’asseoir sur
le banc de paresse, au pied de la chaire. Il se mît en mouvement,
mais, avant de partir, hésita.
– Que cherchez-vous? demanda le professeur.

MADAME BOVARY

– Ma cas…, fit timidement le nouveau, promenant autour
de lui des regards inquiets.
– Cinq cents vers à toute la classe! exclamé d’une voix
furieuse, arrêta, comme le Quos ego1, une bourrasque
nouvelle.
– Restez donc tranquilles! continuait le professeur indigné,
et s’essuyant le front avec son mouchoir qu’il venait de
prendre dans sa toque: Quant à vous, le nouveau, vous me
copierez vingt fois le verbe ridiculus sum2.
Puis, d’une voix plus douce:
– Eh! vous la retrouverez, votre casquette; on ne vous l’a
pas volée!
Tout reprit son calme. Les têtes se courbèrent sur les
cartons, et le nouveau resta pendant deux heures dans une
tenue exemplaire, quoiqu’il y eût bien, de temps à autre,
quelque boulette de papier lancée d’un bec de plume qui vînt
s’éclabousser sur sa figure. Mais il s’essuyait avec la main, et
demeurait immobile, les yeux baissés.
Le soir, à l’étude, il tira ses bouts de manches de son
pupitre, mit en ordre ses petites affaires, régla soigneusement
son papier. Nous le vîmes qui travaillait en conscience,
cherchant tous les mots dans le dictionnaire et se donnant
beaucoup de mal. Grâce, sans doute, à cette bonne volonté
dont il fit preuve, il dut de ne pas descendre dans la classe
inférieure; car, s’il savait passablement ses règles, il n’avait
guère d’élégance dans les tournures. C’était le curé de son
village qui lui avait commencé le latin, ses parents, par

1 Quos ego – (лат.) Вот я вас!

2 ridiculus sum – (лат.) я смешон

GUSTAVE FLAUBERT

économie, ne l’ayant envoyé au collège que le plus tard
possible.
Son père, M. Charles-Denis-Bartholomé Bovary, ancien aidechirurgien-major, compromis, vers 1812, dans des affaires de
conscription, et forcé, vers cette époque, de quitter le service,
avait alors profité de ses avantages personnels pour saisir au
passage une dot de soixante mille francs, qui s’offrait en la fille
d’un marchand bonnetier, devenue amoureuse de sa tournure.
Bel homme, hâbleur, faisant sonner haut ses éperons, portant
des favoris rejoints aux moustaches, les doigts toujours garnis
de bagues et habillé de couleurs voyantes, il avait l’aspect d’un
brave, avec l’entrain facile d’un commis voyageur. Une fois
marié, il vécut deux ou trois ans sur la fortune de sa femme,
dînant bien, se levant tard, fumant dans de grandes pipes en
porcelaine, ne rentrant le soir qu’après le spectacle et
fréquentant les cafés. Le beau-père mourut et laissa peu de
chose; il en fut indigné, se lança dans la fabrique, y perdit
quelque argent, puis se retira dans la campagne, où il voulut
faire valoir. Mais, comme il ne s’entendait guère plus en culture
qu’en indiennes, qu’il montait ses chevaux au lieu de les envoyer
au labour, buvait son cidre en bouteilles au lieu de le vendre en
barriques, mangeait les plus belles volailles de sa cour et graissait
ses souliers de chasse avec le lard de ses cochons, il ne tarda
point à s’apercevoir qu’il valait mieux planter là toute spéculation.
Moyennant deux cents francs par an, il trouva donc à
louer dans un village, sur les confins du pays de Caux et de la
Picardie, une sorte de logis moitié ferme, moitié maison de
maître; et, chagrin, rongé de regrets, accusant le ciel, jaloux
contre tout le monde, il s’enferma dès l’âge de quarante-cinq
ans, dégoûté des hommes, disait-il, et décidé à vivre en paix.

MADAME BOVARY

Sa femme avait été folle de lui autrefois; elle l’avait aimé
avec mille servilités qui l’avaient détaché d’elle encore
davantage. Enjouée jadis, expansive et tout aimante, elle était,
en vieillissant, devenue (à la façon du vin éventé qui se tourne
en vinaigre) d’humeur difficile, piaillarde, nerveuse. Elle avait
tant souffert, sans se plaindre, d’abord, quand elle le voyait
courir après toutes les gotons de village et que vingt mauvais
lieux le lui renvoyaient le soir, blasé et puant l’ivresse! Puis
l’orgueil s’était révolté. Alors elle s’était tue, avalant sa rage
dans un stoïcisme muet, qu’elle garda jusqu’à sa mort. Elle
était sans cesse en courses, en affaires. Elle allait chez les
avoués, chez le président, se rappelait l’échéance des billets,
obtenait des retards; et, à la maison, repassait, cousait,
blanchissait, surveillait les ouvriers, soldait les mémoires, tandis
que, sans s’inquiéter de rien, Monsieur, continuellement
engourdi dans une somnolence boudeuse dont il ne se réveillait
que pour lui dire des choses désobligeantes, restait à fumer au
coin du feu, en crachant dans les cendres.
Quand elle eut un enfant, il le fallut mettre en nourrice.
Rentré chez eux, le marmot fut gâté comme un prince. Sa mère le
nourrissait de confitures; son père le laissait courir sans souliers,
et, pour faire le philosophe, disait même qu’il pouvait bien aller
tout nu, comme les enfants de bêtes. A l’encontre des
tendances maternelles, il avait en tête un certain idéal viril de
l’enfance, d’après lequel il tâchait de former son fils, voulant
qu’on l’élevât durement, à la spartiate, pour lui faire une bonne
constitution. Il l’envoyait se coucher sans feu, lui apprenait à
boire de grands coups de rhum et à insulter les processions.
Mais, naturellement paisible, le petit répondait mal à ses efforts.
Sa mère le traînait toujours après elle; elle lui découpait des

GUSTAVE FLAUBERT

cartons, lui racontait des histoires, s’entretenait avec lui dans
des monologues sans fin, pleins de gaietés mélancoliques et
de chatteries babillardes. Dans l’isolement de sa vie, elle reporta
sur cette tête d’enfant toutes ses vanités éparses, brisées. Elle
rêvait de hautes positions, elle le voyait déjà grand, beau,
spirituel, établi, dans les ponts et chaussées ou dans la
magistrature. Elle lui apprit à lire, et même lui enseigna, sur un
vieux piano qu’elle avait, à chanter deux ou trois petites
romances. Mais, à tout cela, M. Bovary, peu soucieux des
lettres, disait que ce n’était pas la peine! Auraient-ils jamais
de quoi l’entretenir dans les écoles du gouvernement, lui acheter
une charge ou un fonds de commerce? D’ailleurs, avec du
toupet, un homme réussit toujours dans le monde. Madame
Bovary se mordait les lèvres, et l’enfant vagabondait dans le
village.
Il suivait les laboureurs, et chassait, à coups de motte de
terre, les corbeaux qui s’envolaient. Il mangeait des mûres le
long des fossés, gardait les dindons avec une gaule, fanait à
la moisson, courait dans le bois, jouait à la marelle sous le
porche de l’église les jours de pluie, et, aux grandes fêtes,
suppliait le bedeau de lui laisser sonner les cloches, pour se
pendre de tout son corps à la grande corde et se sentir
emporter par elle dans sa volée.
Aussi poussa-t-il comme un chêne. Il acquit de fortes
mains, de belles couleurs.
A douze ans, sa mère obtint que l’on commençât ses
études. On en chargea le curé. Mais les leçons étaient si courtes
et si mal suivies, qu’elles ne pouvaient servir à grand-chose.
C’était aux moments perdus qu’elles se donnaient, dans la
Sacristie, debout, à la hâte, entre un baptême et un

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